Les médailles d’or de 2020 ou 2024

Nous connaissons les vainqueurs de Rio 2016 et certains regardent à présent Tokyo 2020 ou Paris 2024 (il faut bien rêver). Profitons de cette mise en perspective pour regarder comment les entreprises s’organisent dans la gestion des potentiels.

Ce qui est le plus analysé et évalué ce sont les performances passées. L’évaluation repose sur l’atteinte des objectifs et les résultats obtenus sur l’année N-1. Il est normal de valoriser et récompenser la performance obtenue, même s’il est parfois difficile de mesurer la contribution individuelle et qu’il est nécessaire de donner aussi un poids à la performance collective. Pour autant est-ce que ceux qui ont réalisé la meilleure performance une année seront ceux qui auront à nouveau l’année suivante les meilleurs résultats. Une analyse des performances des gestionnaires de fonds financiers montre que les rendements les plus élevés obtenus sont le résultat pour 25% de gérants qui étaient dans les 25% les meilleurs, mais aussi 25% de gérants qui étaient dans le dernier quartile. Cette observation a une explication. Le gérant qui a eu un fonds avec un faible rendement va chercher à comprendre pourquoi et mettre en oeuvre une stratégie gagnante en se remettant en cause. Il est aussi possible que la stratégie mise en place ne donne des résultats qu’au bout de 2 ans et pas immédiatement. De la même manière le gérant qui a obtenu un fort rendement peut avoir tendance à reproduire la même stratégie et ne pas se rendre compte assez vite que le contexte a changé et qu’il faut faire évoluer l’allocation. Appliqué aux ressources humaines cela signifie que les meilleurs de demain ne se situent pas obligatoirement parmi les meilleurs d’aujourd’hui. Comparaison ne vaut pas raison, mais cela vaut la peine de s’interroger sur la gestion des talents.

Les performances passées sont en France sur-pondérées dans l’évaluation.

Les décisions de promotion ou d’augmentation salariale sont très corrélées aux performances passées. La réussite d’un projet, d’une mission donne un coup d’accélérateur. C’est logique car cela met en lumière une contribution particulière, avec un bénéfice immédiat (rentabilité, satisfaction de clients, croissance de chiffre d’affaires).

La sur-pondération de la performance (au regard de l’évaluation du potentiel) a des conséquences importantes sur les comportements futurs. Si la réussite individuelle est très liée à un résultat passé, les individus vont rechercher les projets et les postes qui leur donnent le mieux l’opportunité d’obtenir un bon résultat. Cela ne motive pas pour une prise de risque et certains postes difficiles seront difficiles à pourvoir en interne. De la même façon les comportements seront plus dans la reproduction de ce qui a fonctionné dans le passé (« j’ai eu des bons résultats avec cette méthode, je vais faire pareil pour obtenir le même résultat »). Dans des entreprises où la transformation est cruciale, l’innovation forte et la concurrence importante, il est important de faire évoluer les méthodes et d’éviter la reproduction.

Cette sur-pondération a aussi des conséquences négatives sur la gestion des talents. Les futurs « performers » peuvent être parmi ceux dont la performance sur l’année précédente est dans le dernier quartile. Ceux qui ont eu à gérer des dossiers très complexes, qui ont préféré le moyen terme au court terme, qui ont appris d’un conflit ou d’un échec, qui ont montré une forte combativité et motivation, ceux-là seront peut être les gagnants de 2020. En donnant un message négatif à ces futurs talents, le risque est de les voir partir ou de les démotiver.

L’évaluation du potentiel est sous-pondérée pour trois raisons.

La première c’est la difficulté de la mesure. Une performance passée cela s’analyse, se mesure, se compare au regard d’un objectif. Un potentiel est plus difficile à évaluer. Il faut d’abord avoir un référentiel. Sur quels critères, avec quelle échelle. Sans un partage au niveau du management sur ce référentiel il est impossible de mettre d’accord. Chaque entreprise au regard de ses valeurs et de sa culture donnera des priorités différentes.

La seconde raison c’est la subjectivité, dans le sens où la personne qui évalue le fait aussi avec ses propres repères et son histoire. Il est difficile de savoir ce qui sera important comme compétences dans le futur si au préalable il n’y a pas de réflexion stratégique sur les évolutions de métiers. L’évaluation externe (avec un assesment) est souvent indispensable pour compléter l’analyse et se poser les bonnes questions.

La troisième raison c’est le fait que ce travail demande du temps, de l’humilité et de la prise de recul. L’évaluation du potentiel ne peut pas se faire en 2’, souvent comme un point de l’ordre du jour d’un comité de direction très opérationnel où il faut rattraper le retard lié au point précédent pour lequel le débat a été animé. Malheureusement l’expérience montre que des décisions de promotion ou de constitution d’une liste de potentiels, se font trop rapidement sans prise de recul et avec l’effet de halo bien connu lié aux performances passées. Les résultats obtenus constituent trop souvent le critère de décision, de manière consciente ou non. Par ailleurs il n’est possible d’évaluer que les personnes que nous connaissons. C’est une évidence, mais la pratique montre que les personnes qui ont le plus de chances d’être promues sont celles qui se sont fait voir. Cela a de nombreuses conséquences, dont les plus connues sont la constitution de « clans »(des personnes influentes ou avec du pouvoir vont avoir un poids prépondérant dans les choix) et le fameux « plafond de verre » pour les femmes avec des comités carrière constitués d’hommes qui choisissent des hommes, ou des femmes qui sont soit trop effacées soit qui ne connaissent pas tous les codes pour se faire remarquer.

La motivation est souvent ignorée, car confondue avec la performance

En sport, qu’il soit de combat (comme je judo ou la boxe), individuel ou collectif (comme le handball ou le basketball), tous les entraineurs avant la compétition sont attentifs à la motivation ou dans un terme plus sportif à la combativité. Dans l’entreprise la focalisation sur les résultats, laisse un peu dans l’ombre l’évaluation de la motivation. Est-ce que les mauvais résultats pourraient avoir un lien avec une démotivation ? Est-ce que la façon dont le salarié a été encadré peut avoir des conséquences sur les résultats ? Comme l’évaluateur est très souvent le hiérarchique la réponse à cette question est évidente: cela ne peut pas venir du manager ou du manque de communication de l’entreprise.

Lorsque l’évaluation est trop focalisée sur les performances, le retour qui est fait peut être décourageant. Un salarié qui s’est battu mais qui n’a pas atteint l’objectif, pourra avoir une restitution d’évaluation négative. Le salarié pourra alors s’interroger sur la nécessité de se dépasser et de s’investir si cela n’est jamais reconnu.

Pour trouver les futurs médaillés de Paris 2024 que faut-il faire ?

Il est vraisemblable que la plupart des médaillés de 2024 ne figurent pas dans la liste des médaillés de Rio 2016. Il y aura bien sûr des exceptions, comme avec Usain Bolt qui réalise un triplé sur 3 compétitions, mais si nous en parlons autant c’est qu’il s’agit justement de quelque chose d’extraordinaire, donc très loin de la norme. C’est pourtant ce qui est fait souvent dans l’entreprise avec la focalisation sur les performances. L’entreprise cherche parmi les médaillés de la compétition précédente. Si les entreprises restent bloquées sur les performances passées, elles ne trouveront pas les gagnants de demain.

Il convient de mettre en oeuvre huit actions structurantes pour la gestion des talents.

  1. Mettre en place des évaluations croisées. L’entretien d’évaluation s’effectue très souvent avec le hiérarchique. C’est logique au regard de la responsabilité managériale, mais pas toujours opportun pour mesurer le potentiel. L’évaluation avec la méthode 360° est appropriée, mais souvent très lourde à mettre en place. Il est important d’avoir des rencontres avec des managers qui ne sont pas dans la ligne hiérarchique. Ils peuvent donner un avis complémentaire et lors du comité carrière pourront parler de l’individu. L’évaluation croisée a deux avantages: elle apporte une vision complémentaire et cela permet des trajectoires de carrière différents (en évitant des évolutions dans la même Business Unit par exemple).
  2. Définir un référentiel de compétences. L’évaluation de compétences nécessite une appréciation par un collectif (comité carrière) qui doit pouvoir échanger par rapport à des compétences attendues (capacité à innover, à travailler en équipe, à diriger un projet, à gérer des situations complexes, à communiquer, …). Ce référentiel est propre à l’entreprise et il doit être actualisé en permanence pour tenir compte de la vision managériale.
  3. Réaliser des « assesments ». Cela nécessite très souvent l’intervention d’un consultant et l’évaluation ne pourra se mettre en en oeuvre qu’après un partage sur le référentiel. Le choix du consultant est important et il est préférable de conserver le même quelques années.
  4. Ne pas confondre performance et potentiel pour structurer la politique de rémunération. La sur-pondération de la performance dans l’évaluation conduit souvent à des décisions d’augmentations qui se basent sur des résultats passés. Dans l’idéal il faudrait focaliser les augmentations de la rémunération fixe sur le potentiel exclusivement (l’entreprise paie pour une performance à venir) et de récompenser la performance passée par des primes, un variable (avec éventuellement un lien fort entre atteintes des objectifs et montant de variable).
  5. Faire des vrais comités carrière. Les managers sont très souvent mal préparés et mal formés. Certains considèrent que le fait d’être en situation de pouvoir donne une légitimité pour évaluer. C’est une vision, mais pas la plus efficace. L’évaluation d’un potentiel nécessite des compétences, une certaine prise de recul, une humilité et cela n’est pas inné. Le temps consacré pour les comités carrière n’est aussi parfois pas en adéquation avec l’importance. En comparaison des comités d’investissement sont souvent plus longs alors que les conditions de réussite et de rentabilité des projets sont plus liées à des choix d’individus.
  6. Donner du rythme et de la visibilité. La périodicité annuelle des comités carrière est très adaptée à une gestion « lente ». La gestion des débuts de carrières nécessite une approche plus rythmée et il faut assurer un retour plus rapide. Imaginons le cas d’une personne qui entre en septembre 2016, son entretien d’évaluation pour 2016 sera partiel et même pas pris en compte dans le comité carrière qui se déroulera en avril 2017. Il faudra attendre avril 2018 pour avoir un premier retour. Pour un jeune de la génération Y ou Z c’est une éternité ! Il faut donc pour certains des comités carrière de mi-année. Par ailleurs il est important de communiquer sur le processus, sur les critères pris en compte, sur la différence entre potentiel et performance et de soigner particulièrement les restitutions après les comités carrières. Le manager qui dit « c’est le comité carrière qui a décidé, moi je n’étais pas d’accord et je voulais te donner une meilleure évaluation » ne permet pas une bonne compréhension et appropriation. Cela peut avoir des conséquences importantes sur la motivation (combativité) et donc sur les chances de médailles !
  7. Former et suivre ceux qui ont été identifiés. Un potentiel reste théorique, il correspond à des capacités mais pour pour que celles-ci puissent se traduire en compétences et résultats il est nécessaire de former et mettre en situation. Cela signifie notamment de prévoir des parcours de formation spécifiques (avec par exemple des groupes qui se constituent et qui vont suivre un programme avec si possible une dimension internationale). Il faut aussi mettre en situation: si l’individu ne change pas de poste ou de projet il sera difficile de le faire évoluer.
  8. Evaluer régulièrement les décisions prises. Cela devrait être un réflexe permanent: l’évaluation des décisions antérieures. Cela permet d’analyser, de se remettre en question, de perfectionner le dispositif et d’apporter les réglages nécessaires. Est-ce que ceux qui ont été identifiés il y a 3 ans parmi les meilleurs potentiels ont évolué, est-ce que les performances sont au rendez-vous (si oui pourquoi et si non pourquoi).

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *