Stéphane Richard, PDG d’Orange, a donné sa grille de lecture pour l’analyse de la réussite d’une entreprise lors de son intervention au Grand Jury / RTL / Le Figaro le 12 novembre 2017. Pour lui les principaux critères sont: la constance de la stratégie, la stabilité managériale et la motivation des équipes. Regardons de plus près deux entreprises avec cette grille de lecture: SFR et Carrefour.
Pour SFR depuis 2012 c’est la valse des patrons, avec 7 dirigeants en moins de 5 ans !
Après près de dix ans passés à la tête de SFR, Frank Esser est évincé fin mars 2012. Il fait les frais d’une baisse importante des revenus, liée à l’arrivée du 4ème opérateur de téléphonie (Free). Il est remplacé par Jean-Bernard Lévy qui restera seulement 3 mois à ce poste, en raison de « divergences stratégiques ». Stéphane Roussel arrive alors à la tête de l’opérateur, qu’il connait bien pour en avoir été le directeur des ressources humaines. Il présente rapidement aux syndicats de SFR un « plan de transformation visant à restaurer la compétitivité », comprenant un plan de départs volontaires pour environ 1.000 salariés et un plan d’un milliard d’euros d’économies sur deux ans. L’opérateur veut aussi accélérer dans la 4G pour contrer Free dans un contexte de guerre des prix. Stéphane Roussel aura peu de temps pour mettre en oeuvre la stratégie, puisqu’il est remplacé en avril 2013 par Jean-Yves Charlier qui a pour mission de réorganiser l’opérateur, refondre les offres commerciales, restructurer les boutiques, … Cela va déboucher sur la vente de l’opérateur en mars 2014, à Numericable (13,6 milliards d’euros). Patrick Drahi va rapidement imposer son rythme et il débarque la quasi-totalité du comité exécutif de SFR. Il nomme en octobre 2014, Eric Denoyer. En août 2015, Michel Combes prend la présidence de Numéricable-SFR. Début 2016, Eric Denoyer quitte ses fonctions, l’opérateur a perdu plus d’un million de clients, les revenus par abonnés sont en baisse, le groupe est en retard sur le déploiement de la 4G… Michel Paulin arrive alors à la tête de SFR début 2016, mais n’arrivera pas à freiner la fuite des abonnés. Il est remplacé en octobre 2017 par Michel Combes qui aura tenu quelques semaines à son nouveau poste. Place maintenant à Alain Weill.
Depuis 2005, en 12 ans Carrefour aura connu 5 Présidents et au moins autant de changements dans la stratégie.
En 2005, le Conseil d’Administration est insatisfait par les performances du Groupe (l’action a chuté de 90€ à 32€ en 5 ans), Daniel Bernard, est alors remplacé par José Luis Duran. Le nouveau PDG annonce la cession de nombreuses activités situées dans des pays déficitaires, peu rentables ou pour lesquelles Carrefour n’a pas la capacité d’être sur le podium des trois premiers. La stratégie est alors de se concentrer sur les pays où le poids est suffisant pour être très bien positionné en prix. En France, Carrefour est leader mais les hypermarchés ralentissent et heureusement les performances des supermarchés permettent de conserver la part de marché globale. Les résultats s’améliorent et le cours de l’action se redresse en dépassant les 50€, ce qui aiguise l’appétit de nouveaux actionnaires, avec l’entrée en force de Blue Capital (réunissant les actionnaires Colony Capital et Bernard Arnault). Les actionnaires sont alors intéressés par la valorisation du patrimoine immobilier du groupe. Les résultats des hypermarchés vont cependant se dégrader à nouveau, ce qui va entrainer la valse des Directeurs Exécutifs des hypermarchés avec 4 patrons en 5 ans et le départ au final de José Luis Duran, remplacé par Lars Olofsson en janvier 2009. Pour relancer la dynamique des hypermarchés, le nouveau patron procède au lancement d’un nouveau concept d’hypermarché composé de 8 pôles (marché, bio, surgelés, beauté, mode, bébé, maison, loisirs-multimédia) qui sera déployé dans les magasins européens. Pour financer les investissements dans ce nouveau concept et réaliser un vaste plan de rachat d’actions, le groupe Carrefour se sépare de ses filiales hard discount ED/ Dia. Malgré cela le déclin des parts de marchés se poursuit en France et l’action Carrefour est passée de 31,77 € à 14,40 €. Lars Olofsson est alors remercié. En 2012, Georges Plassat, revient aux fondamentaux avec un plan nommé “reset”. Il mène une stratégie de recentrage avec la cession des activités dans les pays non stratégiques pour un montant total de 2,8 milliards d’euros. Il va pratiquement faire le chemin arrière, avec le rachat pour 2,7 milliards d’euros, des centres commerciaux qui avaient été vendus à Klépierre auparavant et il procède au rachat de Dia (bien entendu plus cher que le prix de cession quelques années avant). Les résultats s’améliorent provisoirement et entre l’arrivée de Georges Plassat et la fin 2013, le cours de l’action a doublé. Sur cette dynamique positive, en août 2015, le groupe Carrefour acquiert la totalité du capital de Rue du Commerce pour rattrapper son retard sur le e-commerce. L’accalmie est cependant de courte durée: les résultats des hypermarchés Carrefour en France continuent de se détériorer. Les plus gros magasins perdent de la fréquentation et du chiffre d’affaires. Ainsi rien que sur l’année 2016 les pertes de chiffre d’affaires représentent pour les 20 plus gros magasins de l’enseigne une perte annuelle de 286 millions d’euros ! Le 18 juillet 2017, le Conseil d’administration nomme Alexandre Bompard Président-Directeur Général du Groupe Carrefour. A ce jour la valorisation du Groupe Carrefour est d’environ 13 milliards d’euros, quand celle d’Amazon continue de progresser et atteint actuellement plus de 650 milliards de $. La société créée par Jeff Bezos en juillet 1994 n’aura connu qu’un seul PDG !
Elior change à nouveau de capitaine, après Gilles Petit et Philippe Salle, c’est maintenant Philippe Guillemot qui prend les commandes. En 4 ans, 3 capitaines ont pris la barre. Pour un gros paquebot comme Elior (restauration collective) cela ne facilite pas la conduite d’une stratégie et la motivation des équipes. Trop de changement à la tête de l’entreprise, n’aide pas à la transformation, mais au contraire conduit à l’inertie et l’attentisme.
Les principaux critères de réussite d’une entreprise semblent bien être: la constance de la stratégie, la stabilité managériale et la motivation des équipes