L’Université d’Eté du Medef a invité les entrepreneurs à réfléchir sur l’enjeu de modifier le droit pour donner un cadre légal à la raison d’être de l’entreprise. Ce sujet est directement lié aux propositions formulées par Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard, dans le rapport “l’entreprise, objet d’intérêt collectif” remis en mars 2018 et le projet de Loi Pacte qui arrive en discussion à l’Assemblée Nationale en septembre 2018, qui reprend certaines propositions de ce rapport.
« L’entreprise doit faire des profits, sinon elle mourra. Mais si l’on tente de faire fonctionner une entreprise uniquement sur le profit, alors elle mourra aussi car elle n’aura plus de raison d’être. » Henry Ford .
Cette citation est reprise en première page du rapport de Jean Dominique Sénard et Nicole Notat. Les quatre participants à la table ronde de l’Université d’Eté (Nicole Notat, Jean-Charles Simon, Xavier Huillard et Anna Norianni) sont d’accord sur l’utilité, pour qu’une entreprise se développe, de posséder une raison d’être. Anna Norianni, Directrice Général de Sodexo France, a insisté sur le fait que la réussite et le développement de la société Sodexo sont très liés à ses valeurs (esprit de service, esprit d’équipe et esprit de progrès) et à la vision de son fondateur (Pierre Bellon) d’améliorer la qualité de vie. Mais le consensus entre les intervenants se limite à ce seul aspect et les choses se compliquent quand il s’agit de choisir de modifier ou non notre réglementation.
Jean-Charles Simon est un virulent opposant à une modification du Code Civil et considère qu’il s’agirait d’une atteinte grave à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété.
Nicole Notat a insisté sur le fait qu’il n’a pas été retenu une formulation qui comprend « l’intérêt des parties prenantes », qui pourrait limiter le pouvoir de l’actionnaire en instaurant une multiplicité de contre-pouvoirs, conformément à la tradition américaine des « checks and balances » (freins et contrepoids) et qui de plus s’intégrerait mal dans l’édifice législatif français. La proposition retenue dans le projet de Loi PACTE de modification de l’article 1833 du Code civil est la suivante (le nouvel alinéa proposé est souligné) :
« Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »
Chaque terme a été pesé et l’analyse est détaillée dans le rapport. L’autre modification importante concerne le Code du Commerce et porte sur les attributions du Conseil d’Administration. L’article L225-35 du Code de commerce serait ainsi modifié (l’ajout proposé est souligné) :
« Le conseil d’administration détermine les orientations de l’activité de la société en référence à la raison d’être de l’entreprise, et veille à leur mise en oeuvre, conformément à l’article 1833 du Code civil. […] »
Pour reprendre la citation de Montesquieu, reprise par Jean-Charles Simon “les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires”, la question est véritablement de savoir si cela est utile ou non. Je considère pour ma part qu’il s’agit d’une loi très utile et j’indique dans les lignes qui suivent ma position personnelle, critiquable bien entendu, avec trois arguments fondamentaux:
L’entreprise est par définition ouverte et utilise des biens communs.
L’entreprise n’appartient pas à ses actionnaires, sur un plan strictement légal. Les actionnaires ont néanmoins par la détention d’actions des droits sur la société. Certains actionnaires le sont l’espace de quelques micro-secondes et lorsque certains réalisent des prêts de titres, il est évident que l’attachement à la société est très relative ! Dans les faits l’existence et la pérennité de l’entreprise, sont conditionnés par d’autres acteurs. Les salariés en premier lieu et l’actionnariat salarié permet de conforter le lien avec l’entreprise. Les clients qui par leur comportement et leur fidélité donnent à l’entreprise la force de la marque. L’entreprise est également très liée aux territoires par l’impact en matière d’emploi et les relations avec les fournisseurs. Comme le souligne Anna Notarianni, DG France de Sodexo, “l’entreprise utilise des biens communs, elle doit forcément s’interroger sur les impacts de ses activités”.
La réglementation est une protection, avant d’être une obligation.
L’absence de réglementation n’empêche pas des attaques juridiques d’une multiplicité d’acteurs. L’existence d’une disposition qui donne un pouvoir au Conseil d’Administration de préciser de manière volontaire les orientations de l’activité de la société en référence à la raison d’être de l’entreprise serait à mon sens une protection de l’entreprise pour mettre en oeuvre des projets sur le moyen et long terme. En laissant l’objet social, uniquement centrée sur l’intérêt des actionnaires, c’est laisser la porte ouverte à la recherche à très court terme du profit et donc le pouvoir à des fonds qui ont un horizon de placement très réduit. Au contraire si l’objet social prend en compte le fait que la société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité, cela justifie de maintenir des projets dont les effets nécessitent plus d’un trimestre pour être évalués.
La définition actuelle de l’objet social, qui se réfère exclusivement à l’intérêt des actionnaires est dépassée.
Les articles 1832 et 1833 du Code Civil ont été écrits au début du 19 ème siècle, dans un contexte économique très différent, avec un capitalisme principalement familial, dans lequel l’entrepreneur était souvent l’un des associés majoritaires ou un de ses proches. La société et l’économie ont considérablement changé et ne pas bouger, c’est prendre le risque d’une dissociation forte entre la réalité de l’entreprise et sa base juridique. Les conséquences seraient désastreuses, notamment au niveau de l’image de l’entreprise. Pour réconcilier le rôle actuel de l’entreprise et la base juridique, il n’y a pas d’autre choix que de moderniser son statut juridique. C’est l’occasion aussi pour les entreprises de travailler sur leur gouvernance et de se mettre d’accord au plus haut niveau sur l’orientation et la vision. C’est l’occasion de revoir la responsabilité de l’entreprise (économique, sociale et environnementale) et en cohérence de redéfinir l’ambition. C’est ce qui apportera des performances durables et une pérennité, au profit de tous (actionnaires, salariés, clients et environnement).
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