Le Code Civil prévoit dans son article 1833 : « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. » . Les besoins en capitaux pour financer la croissance des entreprises sont à l’origine de l’importance donnée à l’avoir, aux détenteurs des actions. Cet article date de 1804 et son antériorité montre sa robustesse (il a su résister aux nombreuses évolutions de la société). Pour autant il a été orienté surtout au profit des actionnaires.
Nicole Notat et Jean Dominique Sénard ont été missionnés par les Ministres de l’Ecologie, de la Justice, du Travail et de l’Economie pour faire des propositions sur l’évolution de la réglementation, afin d’alimenter le projet de loi dite PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transmission des Entreprises).
Les auteurs remarquent que le droit français diffère du système américain des « devoirs fiduciaires », ou l’intérêt des actionnaires est prépondérant. Toutefois, dans le cadre d’une économie mondialisée, la comparaison des performances conduit à privilégier le profit des actionnaires. Les auteurs donnent comme exemple “l’alignement de la rémunération des dirigeants sur le cours de bourse et l’usage des «guidances annuelles ». Ce dernier élément, incontournable en communication financière, revient pour le gouvernement d’entreprise à s’engager sur un certain niveau de profit, et à devoir prendre des mesures correctives en cas d’incapacité à le tenir. Le niveau de profit n’est alors plus le « résultat » résiduel d’un exercice, mais un présupposé, un point de départ.”
La question de l’avoir (profit) prend l’ascendant sur l’objet de l’entreprise et sa raison d’être, qui ne peut pas se réduire à la production d’une valeur pour les actionnaires.
La notion de raison d’être constitue le retour de l’objet social au sens premier du terme, celui des débuts de la société anonyme, quand cet objet était d’intérêt public et examiné par le Conseil d’Etat. Pourquoi la société ne pourrait-elle disposer que d’un «avoir» constitué de ses actifs et de ses passifs, pourquoi ne pourrait-elle pas faire valoir un «être» ? Si elle est dotée d’une volonté propre, de droits et d’obligations, et d’un intérêt propre parfois distinct de celui de ses associés, pourquoi ses décisions devraient-elles être guidées par une seule «raison d’avoir» sans une «raison d’être» ? extrait du rapport remis par Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard le 9 mars 2018 (page 29)
Les auteurs font ainsi la proposition suivante: l’article L225-35 du Code de commerce serait ainsi complété des mots soulignés : « Le conseil d’administration détermine les orientations de l’activité de la société en référence à la raison d’être de l’entreprise, et veille à leur mise en oeuvre, conformément à l’article 1833 du Code civil ».
Cette réflexion sur la raison d’être des entreprises est dans la continuité de la notion de responsabilité sociale et environnementale. Elle donne une traduction juridique possible pour les conseils d’administration qui se dotent d’une vision pour l’entreprise et qui donnent une importance supérieure à la pérennité par rapport à des profits à court terme